En écho aux débats actuels sur les conflits qui secouent la planète, David Gakunzi, militant pour la paix depuis plusieurs années, nous offre ici son regard sur la question de la paix.
Amahoro, dit-on, dans ma langue maternelle pour se saluer. Entendez : « Je te souhaite la paix », « Que la paix soit sur toi et tes proches » et « Comment va ta paix ? » Mais qu’est-ce que la paix ?
La paix, dit-on, est plus que l’absence de guerre. Plus que l’absence de conflit armé. Plus que le silence des canons. Plus qu’un pacte, un contrat, un traité, un accord signé.
La paix est un processus multidimensionnel. Un processus mobilisant à la fois la diplomatie, la médiation, la facilitation du dialogue, le rééquilibrage des rapports de forces des parties prenantes, l’économie, la culture, le corps social.
La paix, c’est le traitement des causes structurelles et conjoncturelles d’un conflit. C’est l’établissement de la vérité et la quête de justice. L’obligation de rechercher la justice. Le refus de l’arbitraire. La lutte contre l’impunité. Que les auteurs des crimes commis ne soient pas poursuivis et traduits en justice et la paix demeurera illusoire aux yeux de leurs victimes. La paix demeurera fragile, les blessures ouvertes.
C’est l’établissement de la vérité et la quête de justice
La paix durable, c’est aussi la justice économique, l’équité et le progrès social. La construction de structures sociales inclusives. L’accès pour tout le monde à un toit, à un emploi, à l’éducation, à la santé. Car vivre dans la misère absolue n’est pas vivre dans la paix.
La paix, c’est également la lutte contre toutes les formes d’exclusion, de discrimination et d’oppression. L’oppression d’un pays par un autre pays, l’oppression d’un groupe par un autre groupe, l’oppression de tous par un seul. C’est l’affirmation de l’égale dignité de tous les êtres humains : là où prospère la paix, personne ne devrait être harcelé, persécuté à cause de ses origines, ses convictions politiques ou religieuses, son genre, ses choix de vie.
La paix, ce n’est point renvoyer dos à dos l’opprimé et l’oppresseur, la victime et l’agresseur. C’est le courage de nommer l’injustice, le courage de refuser de participer à sa commission ; la neutralité et la passivité des témoins relevant dans certaines circonstances non pas d’une quelconque vertu morale, mais de toute évidence de la lâcheté, d’une certaine mort intérieure.
C’est l’affirmation de l’égale dignité de tous les êtres humains
La paix ne saurait être assimilée non plus au pacifisme des sans-pouvoirs contraints d’accepter la loi du plus fort, de se faire tout petit, de marcher en rasant les murs, de se montrer serviles, espérant ainsi échapper au courroux de leur bourreau, atténuer sa brutalité et son imprévisibilité, les sans-pouvoirs obligés de vivre accrochés désespérément à l’illusion de la docilité qui induirait miraculeusement la bienveillance de l’oppresseur.
La paix, ce n’est pas le droit du plus fort de faire ce qu’il veut du plus faible ; ce n’est pas la liberté qui reviendrait naturellement aux pays puissants de faire ce qu’ils veulent des pays plus faibles militairement. Ce n’est pas le droit accordé aux gros poissons d’avaler les plus petits ; la régression générale, le triomphe de la loi de la jungle, en somme. C’est tout le contraire : le refus catégorique de la force brute comme moyen ultime de gestion des différends entre pays, l’éloge du droit et de l’obligation morale de protéger la vie. De veiller sur la vie des plus vulnérables. Des victimes.
La paix est une façon d’être
La paix, c’est la capacité à gérer les conflits de manière constructive. L’impératif de réparer le monde. Voir le visage d’autrui. Reconnaître sa souffrance. Faire preuve de compassion. La compassion, cette conscience qui nous rend humains. Ne pas faire aux autres ce que nous ne souhaiterions pas qu’ils nous fassent. Ne pas chercher à nuire. Souhaiter la sécurité pour nous-mêmes et pour autrui. Œuvrer pour le respect de la vie des gens malmenés par la guerre. De leur histoire. De leurs sentiments. De leurs préoccupations. De leurs besoins. Ne pas profiter de leur faiblesse pour les humilier et les accabler de demandes en échange d’une protection plus ou moins réelle.
La paix est un processus complexe. Et non un show médiatique télévisé, et non une transaction commerciale, et non une affaire en or à saisir à tout prix sous peine de rater une bonne affaire. C’est la construction de la confiance. La transparence. L’implication des parties concernées. L’appropriation locale du processus par les communautés et les individus en première ligne.
La paix est une façon d’être. De parler. Un langage. Le combat contre les discours toxiques. Polarisants. Angoissants. Le combat contre les discours de haine. C’est une culture. Un comportement. Un bien commun. La nécessité de repenser collectivement notre manière de vivre ensemble.
C’est le refus de la nécrophilie, c’est l’amour de la vie.
Amahoro. Paix dans nos cœurs, dans nos familles, dans nos cités, dans nos pays, sur notre planète. Paix et justice.

