Auteure, conférencière, biographe française du Dalaï-lama et enseignante spirituelle, Sofia Stril-Rever a créé les médit-actions Be the Love, présentées dans le livre L’Urgence d’aimer sorti en octobre 2020 aux Massot Editions. Leur protocole intègre les sagesses traditionnelles, l’écologie profonde et les neurosciences contemplatives, mais aussi l’Agenda 2030 des Nations Unies. Car à l’heure où le pronostic vital de l’humanité est engagé, méditer c’est éveiller sa conscience et agir pour vivre mieux et prendre soin de la planète. Entretien réalisé par Isabelle Zenatti.
Sofia Stril-Rever, vous venez de publier “L’Urgence d’aimer”. Quel est le message principal de ce dernier livre ?
Urgence… quand je vous dis urgence, vous pensez danger, risque vital, accident, incendie, explosion, attentat…
Urgence… quand je vous dis urgence, vous pensez urgence humanitaire, médicale, sociale, économique, environnementale…
Et si toutes les urgences du monde, qui vont s’aggravant, étaient les symptômes d’une autre urgence ? De cette urgence absolue d’aimer ? Aimer en amont des crises, pour éradiquer les causes structurelles de la faim, de l’extrême pauvreté, de la prédation des ressources à l’origine des catastrophes qui se multiplient sur la planète. Si l’urgence d’aimer prévalait, elle traiterait le mal à la racine. Si chacun ravivait en son cœur le souffle de la vie et de l’amour, cette énergie multipliée 7,7 milliards de fois, ensemencerait les consciences d’une force d’âme préparant des jours heureux.
Il y a urgence à se réinventer avec l’amour du vivant
Alors qu’en 2020 le pronostic vital de l’humanité est engagé, le message de mon livre est qu’il y a urgence à se réinventer avec l’amour du vivant. Urgence de vivre notre plus belle histoire d’amour avec nous-mêmes et avec la Terre. L’avenir des générations futures se joue à chaque seconde dans nos pensées, nos paroles, nos actions, nos choix de consommation.
« Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde ! » Ainsi nous interpellait Gandhi au siècle dernier. Parce que le changement pour être soutenable doit s’ancrer dans les cœurs et les consciences, je lui réponds en 2020 : « Soyez l’amour que vous voulez voir dans le monde ! » Be the love you want to see in the world !
Vous parlez de “médit-actions”, que voulez-vous exprimer par ce concept ?
J’ai créé le protocole des Médit-actions Be the Love en me basant sur les sagesses de l’intériorité, l’écologie profonde, les neurosciences et aussi l’Agenda 2030 des Nations Unies. Ce document unanimement adopté par les Etats-membres en septembre 2015, trois mois avant l’Accord de Paris, est la feuille de route de notre survie en tant qu’espèce, menacée par le réchauffement climatique et l’érosion de la biodiversité.
Je m’appuie sur la tradition puisque la médit-action repose sur trois piliers définis au 3e siècle avant notre ère par Garab Dorje, premier maître humain de la méditation de « la Grande perfection », le Dzogchen en tibétain. Le premier pilier est la Vue ou la réalisation que l’amour est notre réalité première d’humains conscients. Le deuxième, la Méditation, ou contemplation de l’amour que nous sommes. Le troisième pilier est l’Action qui incarne l’amour dans toutes les situations de notre vie.
La médit-action est un engagement altruiste pour l’humanité
Les neurosciences affectives et sociales sont des outils qui permettent d’approfondir l’observation de son esprit, essentielle dans la méditation. C’est le Dalaï-lama qui, en juillet 2017, m’a demandé de développer cette approche de la méditation. J’ai pu expérimenter qu’elle est en effet très bénéfique, car elle objective le vécu intérieur de la médit-action sur des bases physiologiques.
La médit-action est un engagement altruiste pour l’humanité et c’est aussi tout le sens de l’engagement du Dalaï-lama et de son enseignement sur la responsabilité universelle. En 2020 peut-on imaginer méditer dans sa bulle ? L’esprit et la conscience humaine, moteurs de la transition ? La force du cœur pour un monde meilleur ? Ce ne sont pas des utopies. L’utopie serait de vouloir changer le monde, sans changer les cœurs et les consciences des citoyens du monde. Tel est le sens des médit-actions Be the Love qui créent une courroie innovante entre travail sur soi et travail sur le monde.
Vous avez écrit plusieurs livres avec Sœur Emmanuelle, vous êtes la biographe française du Dalaï-Lama, que vous ont apporté ces grands personnages ?
Sœur Emmanuelle et le Dalaï-lama sont mes étoiles. Ils illuminent ma vie. J’ai eu la grâce d’être proche de sœur Emmanuelle dès l’enfance. Le grand public l’a connue sur les plateaux télévisés, où elle tutoyait les présidents de la République, les célébrités et les journalistes. Mais cette période est venue bien après ses débuts dans le bidonville des chiffonniers du Caire. J’ai retrouvé des lettres très émouvantes qu’elle m’écrivait alors. J’avais 10 ans à peine et elle me demandait de prier pour elle. Elle me racontait qu’on lui jetait des pierres, des enfants fanatisés lui crachaient au visage et, la nuit, elle était mordue par des rats dans sa cabane en tôle. Elle faisait face aussi aux violences de la vie, des mères lui apportaient leurs bébés mourant du tétanos dans des souffrances atroces, parce que leur cordon ombilical avait été coupé avec un couvercle de boîte de conserve rouillée…
Je l’ai rejointe dans son bidonville à 17 ans. Son objectif était alors de « transformer les germes de mort en germes de vie ». Elle l’a réalisé lorsque 20 ans après, une usine de compost a transformé les immondices, causes de maladie mortelle, en compost fertilisant les sols et source de richesse. Un quartier en dur a vu le jour ensuite. Les enfants des chiffonniers n’ont plus ramassé d’ordures. Scolarisés, ils sont devenus enseignants, médecins, avocats, infirmiers… « L’amour est plus fort que la mort ». Sœur Emmanuelle le disait, elle le vivait. Je l’ai vu sur son visage qui rayonnait alors qu’elle venait de fermer les yeux. En fermant les yeux, elle avait ouvert les miens sur l’absolu de l’amour.
Sœur Emmanuelle et le Dalaï-lama sont mes étoiles
J’ai rencontré le Dalaï-lama en 1992, parce que ma voix intérieure me disait d’aller à Dharamsala. J’entends encore mes proches : « Il n’y a rien à voir à Dharamsala. Qu’est-ce que tu vas faire là-bas ? » Je n’avais pas de réponse à leur question. La réponse est venue quand je suis arrivée avec deux rencontres qui ont changé ma vie, dont celle du Dalaï-lama. A l’époque je n’imaginais pas le revoir ni co-signer quatre livres avec lui, ni organiser autour de lui une conférence avec 350 avocats experts de l’environnement au Barreau de Paris en 2016, ni réunir les séminaires Better We Better World en 2018 et 2019 avec lui et le Professeur Samdhong Rinpoché…
Auprès du Dalaï-lama j’ai découvert les pouvoirs altruistes de la méditation de responsabilité universelle, basée sur la réalisation de l’amour inconditionnel et de la compassion. Au lieu de m’éloigner du message évangélique, je me suis approchée du Christ intérieur, dans cet espace de transparence où toutes les spiritualités se rejoignent, sans syncrétisme parce que cet espace se situe au-delà des formes de la croyance…
Je me suis construite aussi à travers les rencontres d’anonymes que la vie a mis sur mon chemin
J’ajouterais que j’ai beaucoup appris également d’acteurs internationaux du changement, comme Christiana Figueres, architecte de l’Accord de Paris, qui a préfacé L’Urgence d’aimer et d’autres personnalités citées dans le livre. Mais je me suis construite aussi à travers les rencontres d’anonymes que la vie a mis sur mon chemin. Gratitude à tout.es !
Que représente l’écriture pour vous ?
J’écris depuis l’âge de 4 ans… j’ai appris à lire dans les Evangiles que me lisait tous les jours mon grand-père, en me tenant sur ses genoux. J’en savais par cœur des petits bouts, des phrases qui continuent de m’accompagner aujourd’hui. Le message évangélique me fascinait, notamment l’histoire de Lazare sortant du tombeau. Pour moi l’écriture est donc un lien avec l’invisible. J’ai écrit une vingtaine de livres, marqués par la spiritualité, des mots pour transmettre l’insondable amour que nous sommes et aujourd’hui, pour rappeler l’urgence d’être l’amour que nous voulons voir dans le monde. Pour aller plus loin : www.bethelove.global
Photo : Le Dalaï-lama et Sofia Stril-Rever
SOFIA STRILL-REVER – L’URGENCE D’AIMER
OCTOBRE 2020 – MASSOT EDITIONS