Ce n’est pas hier ni avant-hier. Ce n’est pas demain. C’est aujourd’hui. Trois longues années et des mois et des poussières de mille souffrances. Le Burundi comme un horizon sans horizon. Des paroles de haine. Des actes de cruauté. La parole officielle du jour qui ricane, l’apocalypse en promesse nationale.
Ce n’est ni hier, ni avant-hier, ni demain. C’est aujourd’hui. La barbarie de bon aloi. Le sort de milliers des gens semble déjà entendu. Scellé. Ils disparaîtront. La doctrine officielle le dit depuis trois longues années et des mois et des poussières. Des hommes ont déjà été désignés pour l’abattoir. Ce ne sera que du sang de chiens errants. Du sang de chèvres.
La chose. Les fanatiques de la haine commettront de nouveau la chose. Ce qui est déjà arrivé, arrivera. Le malheur que les mots ne pourront pas dire. L’horreur.
Au début, il y a eu les paroles. Les insultes : mujeris, chiens errants, ubwoko bubi, mauvaise race, bipinga, abamenja, les traîtres. Les mots qui déshumanisent. La haine qui prépare le crime. La haine vindicative comme idéal collectif. La haine puisée dans les mémoires manipulées, viviers de rancœurs exaltées. La haine comme théologie de l’émancipation collective. La haine en vie nouvelle. La haine comme appel à l’œuvre, l’éloquence démoniaque dissimulant le projet de crime. La haine comme bien national absolu. L’odeur de la haine. La puanteur de la haine. Le pays glissait. Dérivait.
Au début, il y a eu l’exhibition dans les rues. Les parades. Les foules, les pancartes, les insultes, les intimidations, les menaces. Les défilés de la haine. Les milices. Imbonerakure. Les exécuteurs. Ceux appelés à exécuter. Il y a ceux qui pensent et ceux qui cognent.
Après, il y a eu les coups. Le seuil franchi. Le premier meurtre : un gamin de quinze ans, Komezamahoro, Jean-Nepomuscène Komezamahoro. La balle à bout portant. Un meurtre puis un autre meurtre. Le crime suivi d’autres crimes. La porte était ouverte pour laisser passer la cruauté. La torture. Les cadavres par centaines dans les rues de Bujumbura un matin de décembre de l’année 2015. Les fosses communes. Les disparus. La terreur. Les femmes martyrisées. Transgression de toutes les lois humaines. Franchissement de toutes les limites.
La cruauté normalisée, légalisée, le discours officiel grandiloquent
Il y a eu des choses difficiles. Des choses difficiles à raconter. Des choses qui échappent aux mots. Des choses gravées sur le visage des victimes. Des choses sans aucune explication possible. Des choses infligées par des hommes à d’autres hommes. La cruauté au-delà de la cruauté. La cruauté comme droit souverain. La cruauté normalisée, légalisée, le discours officiel grandiloquent. La cruauté comme liberté absolue. La passion de la cruauté. L’habitude de la cruauté. L’insatiable cruauté réclamant aussitôt assouvie d’autres victimes. Des victimes, encore et encore. Des victimes condamnées à payer. Payer d’exister.
Ce n’est pas hier, ce n’est pas avant-hier, ce n’est nullement demain. C’est aujourd’hui.
Le Burundi pays désapproprié d’humanité, en sécession internationale, replié sur lui-même, ne respectant plus rien ni personne. Et au regard désolé et à la parole inquiète, terrifiée de l’extérieur, le délire de persécution comme parade officielle pour escamoter la réalité réfléchie par le miroir tendu : « De leur faute, c’est de leur faute ! Les Belges, la France, l’Europe, les Etats-Unis, l’Union africaine, les médias… C’est de leur faute ! Tous de connivence ! »
La déraison. La ruine de la raison : le Burundi pauvre victime de puissances occultes, étrangères, maléfiques ; le Burundi victime des Blancs, victime des Noirs, victime du Sénégal, du Burkina, du Rwanda. Le Rwanda, la haine mise en mots, désigné pays ennemi. Le Rwanda provoqué. Le Rwanda insulté, attaqué, cherché comme on cherche un ennemi en duel. Obsession récurrente de se mesurer au voisin du Nord symptomatique d’une haine radicale, racialiste, affirmée par des propos niant la réalité du génocide des Tutsis du Rwanda.
Ce n’est pas hier, ce n’est pas avant-hier, ce n’est nullement demain. C’est aujourd’hui.
J’ai peur pour le Burundi. J’ai peur pour des gens comme vous et moi
Que certaines conditions soient réunies et le crime sera commis, non plus kamwe kamwe, non pas au compte goutte, comme aujourd’hui, mais en tas et en masse. La machine se sera emballée. Ceux désignés pour l’abattoir tomberont. Ils ne seront plus. Les tueurs tueront avec euphorie. La mort sera donnée en foule et en fête.
Et le monde versera des larmes. Et le monde bouleversé se posera les mêmes questions : comment les hommes peuvent-ils infliger cela à d’autres hommes ? Dans quel lieu de l’homme naît donc ainsi le surgissement de la monstruosité ? Le monde horrifié dira : en ce pays là-bas, la chose qui ne devait plus arriver est aussi arrivée. Est encore arrivée.
Ce n’est pas hier, ni avant-hier, ni demain. C’est aujourd’hui. Trois longues années et des mois et des poussières que tout cela dure. Nous savons. Alors ? Serons-nous de ceux qui ont laissé faire ?
J’ai peur pour le Burundi. J’ai peur pour des Burundais. J’ai peur pour des gens comme vous et moi. Ils ont un visage. Ils ont un nom. Ils méritent de vivre. Je n’écris pas pour eux. Je crie pour eux. Je crie pour que leur cri étouffé soit entendu. Aujourd’hui. Pas demain.
Photo : Benjamin Loyseau – UNHCR
6 commentaires
Mille merci pour toujours
Parôles fortes et cri très perçant! Comme toujours!
Well said and well done Mr. Gakunzi. Tell the story:
Stories are possibilities. Possibilities are Hope. And Hope is Revival; hope leads to a mass revolt against the tyranny.
Inspirational.
Merci Gakunzi. Je pense que personne ne dirait mieux. Infiniment merci. A bon entendeur….