Regard sur Pierre Buyoya, ancien Président du Burundi, figure politique et diplomatique continentale, qui a tiré sa révérence le 17 décembre 2020. Texte de David Gakunzi.
Nous venons pour partir. La naissance implique l’ultime départ. C’est ainsi. Né dans la douleur de la pauvreté dans une famille rurale, le destin de Pierre Buyoya ne s’annonçait d’avance ni reluisant ni de tout repos. Pieds nus, il ira à l’école, avalant chaque jour, au pas de course, des kilomètres de collines et de vallées, souvent le ventre vide. Rompant, à force d’abnégation, les amarres de la misère, allant à contre-providence, forçant la fortune, Buyoya fera de brillantes études au sein des meilleures écoles militaires européennes, deviendra chef d’Etat réformateur et diplomate respecté.
Comment rétablir les rapports de confiance et rompre avec les haines semées, cultivées ?
Président du Burundi, il hérite l’année 1987 d’un pays sous tension, sclérosé par la peur, submergé par la psychose ethnique, diminué par le conflit entre l’Eglise et l’Etat, rongé par les clivages régionaux. Comment faire dans ce cas pour reconstruire une société aussi profondément clivée et divisée ? Comment instaurer un climat de détente, rétablir les rapports de confiance, rompre avec les haines semées, cultivées ? Comment faire évoluer les attitudes et les perceptions mutuelles ? Comment soigner les blessures du passé et construire un avenir commun ?
Sortir d’abord des non-dits, de l’esquive et du mutisme érigés en normes de coexistence. La question ethnique jusque-là taboue sera ouverte au dialogue, mise en débat publiquement et les pistes d’une politique de réconciliation nationale émergeront chemin faisant : partage graduel du pouvoir, charte de l’unité, politique volontariste d’éducation à la paix, mobilisation des mécanismes traditionnels de réconciliation, mise en place de dispositifs de renforcement des liens sociaux. Mais feront sans doute défaut la verbalisation individuelle des massacres passés et la déconstruction en profondeur des représentations négatives réciproques.
Buyoya figure sur la liste des personnalités à abattre cette nuit-là
Viendront ensuite les élections démocratiques, la défaite électorale face à Melchior Ndadaye et l’alternance politique pacifique saluée par la communauté internationale. Et ce départ du pouvoir avec une élégance remarquée et applaudie. A l’un de ses ministres lui proposant d’inverser en sa faveur les résultats donnant vainqueur son challenger, Pierre Buyoya, d’habitude d’humeur affable, opposera un refus courroucé : « Je ne veux en aucun cas que le sang coule dans ce pays parce que j’aurais refusé de quitter le pouvoir! »
La belle histoire démocratique burundaise ne fera pas long feu. Trois mois après son accession au pouvoir, Melchior Ndadaye est assassiné lors d’un coup d’Etat avorté. Buyoya figure sur la liste des personnalités à abattre cette nuit-là car considéré par les mutins comme «le traître» qui aurait permis l’accession au pouvoir de Ndadaye. Informé du sort qui l’attend par l’un de ses contacts au sein de l’institution militaire, Buyoya se réfugie dans l’enceinte de l’ambassade américaine.
Le Burundi s’enfonce dans une guerre civile meurtrière
Le Burundi s’enfonce dans une guerre civile meurtrière. La violence atteint des niveaux extrêmes ; les milices font la loi ; les quartiers sont barricadés ; certains parlent de somalisation du pays. Confrontée à une rébellion hutue paradoxalement faible et irréductible, une frange de l’armée se tourne vers l’ancien président Buyoya, personnalité au tempérament conciliateur et crédible aux yeux de la communauté internationale. Encouragé par des figures morales de la société civile, celui-ci, après avoir longuement hésité, accepte, à contrecœur, de sortir de sa retraite doré et de revenir aux affaires, courant juillet de l’année 1996, tout en étant pleinement conscient qu’il a beaucoup plus à perdre qu’à gagner dans cette nouvelle aventure hautement risquée .
Quels seront les choix politiques de cet homme poussé pour la seconde fois vers le pouvoir par les circonstances ? Que fera-t-il du pouvoir cette fois-ci ? Sera-t-il le président de l’éradication totale de la rébellion ou, de nouveau, le faiseur de paix recollant les morceaux d’un pays fragmenté ?
Pierre Buyoya explore toutes les procédures de concertation idoines
La sécurité physique rétablie dans la capitale, le nouveau-ex-Chef d’Etat prône le dialogue inclusif. Les négociations s’avèrent pourtant difficiles, ardues, âpres, parfois chaotiques. Contre vents et marrées, le cap de la recherche d’un accord de paix inclusif est maintenu. Avec patience et obstination, Pierre Buyoya, étranger à tout sectarisme, explore toutes les procédures de concertation idoines susceptibles de favoriser la construction d’un accord équitable.
Qu’on ne s’y trompe pas : la volonté de paix du président n’est point irriguée ni de naïveté, ni de candeur; il sait que la restauration de la confiance prendra du temps, qu’il faut de la patience pour déconstruire les peurs mutuelles, donner à chacun le temps d’exprimer ses angoisses, son vécu, sa perception du malheur commun, que le chemin vers l’apaisement sera encombré d’obstacles multiples, marqué de moments de grandes turbulences. Montré du doigt par les radicaux de son camp estimant tout dialogue avec les rebelles indécent, le président échappe à deux reprises à une tentative de coup d’Etat.
La paix s’organise : Pierre Buyoya pilote la transition
L’accord de paix est finalement signé au terme d’un long processus semé d’embuches à Arusha sous l’égide de Nelson Mandela. La paix ! Enfin la paix-renaissance ! C’est l’euphorie générale et le temps de l’espérance pour les Burundais fatigués par la guerre. Les conditions d’une coexistence pacifique durable semblent désormais réunies. La paix s’organise : Pierre Buyoya pilote la transition, se retire du pouvoir, tient sa parole comme promis quelques années plus tôt : « Quand j’aurai terminé ma tâche de restauration de la paix, je partirai. »
Loin du pays des tambours, l’ancien président prend le large, sillonne l’Afrique, mettant son savoir faire au service du continent, jouant les médiateurs, remplissant les missions de bons offices, usant de son expérience pour désamorcer un conflit ici ou mettre fin à une guerre là-bas. Il ne vend pas des recettes toutes faites ; il sait que la paix s’invente chaque jour et que chaque contexte est singulier. Il sera l’homme d’influence mesuré, discret, effacé, apprécié pour sa rigueur, sa disponibilité, son ouverture d’esprit, sa capacité de parler à tout le monde avec respect. Dans son regard, il y a désormais comme un accomplissement.
Nommé Haut-Représentant de l’Union africaine, le Mali sera sa seconde maison. Il se plaît à Bamako, devient malien parmi les maliens, s’épanouit dans cette Afrique de l’Ouest si chaleureuse humainement.
L’esprit d’Arusha piétiné l’ancien président est interpellé
Mais on n’échappe pas à ses origines. L’année 2015, voilà le Burundi rattrapé par ses vieux démons et plongé dans une nouvelle crise. La rechute: la paix n’est jamais totalement acquise avec la signature d’un accord liant les différentes parties. Il faut veiller, guetter les tensions, alerter, demeurer vigilant, s’assurer du respect strict des engagements contractés par les uns et les autres.
L’esprit d’Arusha piétiné, le contrat de paix déchiré, l’ancien président est interpellé. Sa condamnation des dérives du pouvoir déchaine aussitôt une vague de haine orchestrée par les partisans du régime. Pierre Buyoya devient le bouc émissaire chargé de tous les maux dont est affligé le Burundi; voué à la néantisation, il est même désigné commanditaire suprême de l’assassinat de Ndadaye, jugé et condamné à la perpétuité au cours d’un procès abracadabrantesque, tenu à huis clos, sans avoir eu l’opportunité ni de se défendre, ni d’exposer sa version des faits.
L’homme est profondément touché dans son for intérieur, même si comme d’habitude, tout au moins de façade, il demeure imperturbable, maître de ses émotions. Lui qui a si profondément imprégné son pays de sa parole conciliatrice, de ses réformes visant l’équilibre et la stabilité, de sa volonté de paix, n’attendait certes point de ceux qui le vilipendaient ni respect ni reconnaissance mais … tout de même !
J’essaie d’œuvrer honnêtement
Contre ceux qui veulent ruiner sa réputation, Buyoya se remet debout, décidé à exposer à la face du monde son innocence et à «laver son honneur», dira-t-il , au cours de sa dernière conférence de presse. Il n’en aura pas le temps. Viendra cette chose contre laquelle l’humain ne peut rien. Il faut un temps pour vivre; il faut un temps pour partir de l’autre côté.
Un jour revisitant son parcours avec lui à Paris, j’ai osé cette question : « Comment passera votre nom à l’histoire ? » Il m’a répondu pesant et soupesant, comme à son habitude, chaque mot ceci : « On ne fait pas la politique pour soi. Mais pour les autres. Pour son pays. Pour son continent. Pour des valeurs. J’essaie d’œuvrer honnêtement. J’espère que l’histoire sera également honnête dans son jugement. »
David Gakunzi est l’auteur de “Ce rêve qui dure encore”, ouvrage paru en décembre 2023 chez Temps universel.
2 commentaires
Je suis parfaitement d’accord avec votre analyse. Buyoya est un des rares hommes politiques burundais ayant fait preuve d’une éthique politique post conventionnelle et d’une éthique de la responsabilité hors norme. Qu’il se repose en paix. Tôt ou tard, l’histoire lui donnera raison. Il a fait sa part à la construction d’un monde meilleur empreinte de valeurs transcendantales, Bien que le régime CNDD cherche à faire disparaître à tout prix son héritage, il n’y parviendra pas, il finira par s’écrouler, qu’il le veille ou pas. L’histoire ne pardonne pas.
Incompris dans son pays car en avance sur son époque, tôt ou tard il y sera reconnu et réhabilité. J’ai eu l’honneur et le privilège de le côtoyer et je retiens un fait que beaucoup trouveront banal : jamais je ne l’ai vu rester assis au moment de serrer la main à quelqu’un. Il se levait toujours pour saluer qui que ce soit, grands ou petits!