Mushapata, homme de la migrance, né au Congo, du côté de Bukavu, mort en France, quelque part à Paris. Personnage hors normes. Etranger ici, étranger là-bas ; à la fois d’ici et de là-bas. Quelle était sa nationalité ? Il répondait : “Africain, je suis africain”.
Mush, comme on l’appelait, n’avait pas l’air du premier venu. Une masse de cheveux. Des locks comme des racines de figuier. Une carrure de déménageur. Un corps de géant. Un colosse. Une vraie montagne. Champion poids lourds, autrefois dans sa jeunesse, sur les rings de son Congo natal.
L’homme était à contre-courant de ce qui doit être selon les codes établis. En marge, jusqu’au bout, naviguant dans son univers. Exilé dans son univers. La musique comme foyer d’exil. Il n’appartenait qu’à la musique.
L’homme était en marge, à contre-courant de ce qui doit être selon les codes établis
Et l’artiste eut son heure de gloire avec un quarante-cinq tours : Chatelet-Les-Halles. Chatelet-Les-Halles longtemps son espace transitoire aux heures chaudes de la journée, hiver compris. Les-Halles, son lieu d’allées et venues avant les bancs de Barbès et les sentiers de Château-rouge.
Mushapata c’était une démarche, une manière de marcher, de traîner l’épaisseur de sa condition, le dos toujours relevé malgré le poids du destin. Du champ de la boxe du Congo à l’air musical de Paris, il savait qu’on est toujours seul sur le ring. Que sur le ring, il faut se débrouiller avec ses bras, ses jambes, ses épaules, sa tête. Que même acculé dans les cordes, il faut savoir garder son sang-froid. Ne jamais jeter l’éponge avant le coup de gong. Que le ring c’est comme une cage : il faut faire face. Et inutile d’appeler à l’aide : personne ne volant au secours de personne. Que sur le ring, ça fait parfois mal. Terriblement mal. Qu’un boxeur doit être un dur à cuir, qui sait encaisser la raclée et rendre les coups. Persévérer. Et qu’au bout, c’est la règle du jeu, il y aura la victoire ou la défaite. Gagner ou perdre.
Tous ceux qui, à Paname, connaissaient le colosse ont une histoire à raconter sur ses aventures et mésaventures. Il fut garde du corps de Marley lors du mythique concert du King du reggae au Bourget. Il fut garde du corps de Burning Spear. Il fut… Il était…
Avançant vers son crépuscule Mushapata murmurait parfois des mots en swahili
Silencieux et extravagant à la fois. L’air absent et un peu timbré par moment. Endurant. Assez costaud pour supporter le poids de la précarité critique. Étourdi, le genou parfois à terre mais jamais totalement au tapis. Revendiquant toujours avec orgueil sa vie hors normes.
Avançant vers son crépuscule Mushapata murmurait parfois des mots en swahili: umoja, ujamaa, uhuru, unité, fraternité, liberté. Était-ce le mal du pays ? La longue absence de son lieu de départ ? Sur la route du dernier voyage, le Congo si loin et des milliers de souvenirs sentant l’odeur de la sentence ? L’enfant qu’il fut, le jeune homme chercheur d’aventures, Paris dans ses rêves, poussant les portes de l’Europe, l’homme qu’il était devenu. Et pourquoi cet attrait de Paname ?
« Paris c’est Paris, clamait le natif de Bukavu ; Paris c’est jongler, Paris c’est pleurer ; Paris c’est l’aventure; mon Paris à moi c’est le boulevard Barbès. »
Immobile maintenant. La croissance. La déliquescence. L’au-delà a convoqué.
Le boxeur-musicien passant, la lune et le soleil, la vie sombre et la vie éclairée, et tous ces humains en débrouille perpétuelle, évoluant hors de la voie royale que nous croisons tous les jours sans un instant de regard. De crainte d’être saisi au collet par leurs souffrances.
Que chacun ouvre son cœur. Le colosse vient de quitter les lieux.
5 commentaires
Quelle plume, quelles hommages! Que la terre te soit légère Mushapata🙏🏾 repose éternellement en paix. Uhuru, Umoja, UJAMAA✊🏿
Repose en Paix Mushapata ! heureux d avoir partagé des moment avec toi ! Blessed Love KarimGong
Merci à vous Mr David Gakunzi pour cet hommage à notre cher frère Mushapata. J’ai été son tromboniste dans les années 90 et pas mal de tournées avec lui. Bien qu’il était boxeur il n’y a jamis eu une seule bagarre ds le groupe et Moush était aux antipodes des combats avec ces musiciens. Il a toujours été réglo avec nous mais personne ne le connaissait vraiment. Afrika ni Babayé tou Africa ni Mamayé tou sisi wa toto namou africa sis mouliyé marié tou. UHURU, UMOJA, UJAMA;
Sinceres condoléances à la famille
Je souhaiterais avoir des nouvelles de Jonas le frere de Mushapata
Beau texte!!!rip Musha