Combien de temps faudra-t-il avant l’éclosion, de nouveau, d’un autre esprit aussi libre, aussi bienveillant que celui de Barack Obama ?
Un Noir à la Maison Blanche. Mais voyons ! Et quoi d’autre encore ? Impossible, improbable, inimaginable ! Jusqu’au surgissement sur la scène politique américaine du Kid de Chicago. Lumineux. Eclaboussant de beauté et d’intelligence. Et le rêve du King parfumé de fraîcheur devint réalité : Barack Obama, enfant de l’amour entre une Américaine et un Kenyan, élu Président of The United States of America. Emotion et célébration planétaire avec Sam Cooke en boucle sur toutes les platines : Change gona come.
Mais, Man, le jour d’après, que les tambours sont lourds à porter ! Le jour d’après, et conversations et palabres interminables : avec le new Kid in town, avec le new President, que sera, sera l’Amérique désormais ? Et que sera la planète ? On palabrait, palabrait, palabrait : Obama sera-t-il à la hauteur ? Obama sera-t-il un Président normal ? Obama sera-t-il un Président de couleurs ? Le champ clos, la sottise consciencieuse, celle qui œuvre à séparer, à hiérarchiser les hommes, la sottise consciencieuse furieuse de haine, accusait même : « Obama n’est pas un natif natal » ; « Obama n’est pas un américain one hundred percent » ; « Obama ? Obama no ! »
Le Kid de Chicago avait une autre manière de scruter, d’embrasser le monde ; il voyait loin, plus loin, plus large
Le Kid de Chicago était, lui, déjà ailleurs ; ailleurs au-delà des murs et des couleurs. Le Kid de Chicago avait une autre manière de scruter, d’embrasser le monde ; il voyait loin, plus loin, plus large : encore plus de liberté pour tout le monde ; et plus de prospérité pour chacun ; et plus de fraternité ensemble. Mais… mais la réalité, Man ! La réalité. Le réel. Les conservatismes. Les préjugés. Les inégalités. Les ghettos. Les discriminations. Les exclusions. La misère. La violence de la misère. Les haines. Les fascismes. La violence des fascismes. La réalité, Man.
Alors prendre les choses de front ou slalomer ? Vif, incisif, le dribble de relance rythmé, le regard rapide, le geste juste, inspiré, slalomer et négocier avec la réalité ? L’art de la politique ? A chaque rebond, dessiner ce qui est possible ? Seulement ce qui est possible, tout ce qui est possible ? Sur l’échiquier politique, courir, doubles-pas et dunks, lay-back ou lay-down, tracer, s’élancer, bondir, s’envoler conquérant comme sur le playground ?
Sur le rectangle, même face au mur, on ne renonce pas, on n’abandonne pas, on ne bat pas en retraite. Même la main cassée, même le pied foulé, même le genou fracassé, avec talent, avec intelligence, on calcule, on avance, on contourne, on dribble, on escalade, on perce le mur. Et si nécessaire run and gun. En équipe. Toujours en équipe. Et la joie réelle.
Alors la politique, les figures sphériques et l’envol, de droite à gauche, de gauche à droite, comme sur le rectangle ? La politique avec persévérance, créativité, inventivité, audace, chaque coup joué, rangée après rangée, avec un but précis : franchir les obstacles et avancer vers l’avenir promis ? C’est que… c’est que la politique épuise, Man ; la politique et ses corps-à-corps, la politique et ses coups bas, la politique et ses affrontements quotidiens sans-pitié, la politique use.
Le Kid de Chicago, deux fois quatre ans Président. Et le regard toujours de beauté
Et la violence du monde, la violence, lorsqu’elle fulmine, tonne, la violence, cette vilénie mortifère. Et ce retour en force sur l’ouverture des jours des pouvoirs de la brutalité ; et ces cris d’hommes, la gueule sans cœur, remontant des cavernes ; oui, ce tintamarre, cette tempête planétaire engloutissant l’insouciance de la joie et de la liberté, le hurlement orageux, religieux, national ou tribal : « Chacun chez soi ! » Et l’ombre vile, affreuse qui s’avance, et ce retour gagnant des bêtes sauvages. Et qu’il semble loin, bien loin, le temps où la terre entière était notre horizon, notre maison. L’aventure humaine était ouverte à tous les versants du monde, enchantée du bleu de Bali et de Mombassa, en quête des parchemins de Tombouctou et des chemins de Bombay, et même, même lorsqu’on n’avait rien, on avait tout : on avait l’avenir et l’espérance.
Le Kid de Chicago. Le Kid de Chicago, deux fois quatre ans Président. Et le regard toujours de beauté : sourire, ironie et autodérision en boucliers, traverser les saisons, l’audace d’espérer intacte. Ne pas abdiquer. Mais la dureté, la dureté du monde ; mais le racisme, le racisme qui joue les polices de proximité ; Dallas, Sanford, Ferguson, Brooklyn… Mais le poids, le poids du monde, la lourdeur du fardeau des espérances portées sur les épaules… Etre Prince et ne pas être en puissance de faire parfois. Et les cheveux de plus en plus poivre, de plus en plus sel, de plus en plus poivre et sel ; et les cheveux de plus en plus blancs et le temps répandu sur les traits du visage.
Le temps qui passe, la roue du temps qui tourne, tourne vite. Chicago. Temps du retour à Chicago. Chicago, Sweet Home Chicago.
En attendant un autre tour, ne restera dans le sillon que l’empreinte de l’essentiel : la grâce et la liberté
Et combien de lunes faudra-t-il encore avant l’éclosion, de nouveau, au cœur de la Maison Blanche d’un autre esprit aussi libre, aussi bienveillant, toujours impassible devant les offenses et les injures, jamais mal élevé, policé, urbain et engagé par un seul élan : élever chacun et tous, élever l’Amérique et le monde vers plus de beauté, vers plus de noblesse, l’élégance suprême défiant la sottise ?
Come on, Oh baby don’t you want to go, Back to that same old place, Sweet home Chicago. Note après note, la musique est déjà envolée, la mélodie, lumière joyeuse jetée dans le contour et les courbes des jours, terminé. En attendant un autre tour, ne restera dans le sillon, transporté vers l’infini, que l’empreinte de l’essentiel : la grâce et la liberté. Yes, he did !
Photo : Joe Crimmings – 2008