L’artiste Laurence Gervot-Rostaing, connue sous le pseudonyme 1011, conjugue art et philosophie avec un thème central : les violences faites aux femmes et aux enfants. Propos recueillis par Isabelle Zenatti.
Quelle est la signification de votre nom « 1011 » ?
Mon nom d’artiste « 1011 » est du langage binaire qui signifie « 11 » dans le système de numérotation décimale. Je le partage avec un philosophe qui de surcroît est mon mari. Nous travaillons de pairs : art et philosophie s’enrichissent mutuellement. Non pas deux individus, mais la recherche de la création unique au profit d’idées multiples. Voilà pourquoi un chiffre.
Comment définiriez-vous votre démarche artistique ?
Je souhaite réaliser un art engagé dans son temps, dans son actualité et m’interroge globalement sur l’histoire du XXe et XXIe siècle. Je réponds à cette pensée d’Einstein : « le monde ne périra jamais par ceux qui font le mal, mais par ceux qui laissent faire ». Ou encore cette phrase de Karl Marx : « Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre », me guide. Mon art traite d’histoire, d’actualité, de philosophie et de politique. Avec en thème central : les violences faites aux femmes et aux enfants. Plusieurs œuvres abordent des sujets délicats, voire difficiles mais toujours avec esthétisme afin de mettre en avant l’image, parfois violente, comme support de l’idée et du débat que peut engendrer l’œuvre. L’art et l’engagement sont compatibles !
J’utilise naturellement l’image dans ma discipline artistique : photographies, dessins, images de presse, images de la télévision, archives… Des images souvent difficiles à regarder tant elles sont brutales. Cependant, l’exploitation ou le détournement de ces images sont toujours construits dans un souci esthétique. Montrer des images choquantes alors que nous en voyons toute la journée dans la presse ou sur Internet serait « contre-productif ».
Un exemple : une œuvre intitulée « Infibulation » (forme extrême d’une mutilation féminine) montre une bouche mise à la verticale. Elle évoque la sexualité (une vulve), la sensualité (un corset de femme), la brutalité (les mutilations sexuelles).
Quelles sont vos influences ?
Des femmes militantes m’inspirent. Des femmes d’exception qui ont marqué notre histoire. Non seulement, à travers des actes de bravoure, de courage, de compassion. Mais aussi, à travers leurs œuvres, leurs actions, leurs revendications.
La brillante mathématicienne et philosophe néo-platonicienne : Hypathie d’Alexandrie. Elle a lutté contre les idées reçues de l’époque. Mathématicienne et philosophe, Hypathie d’Alexandrie est morte pour ses idées et ses convictions. En 415, elle fut sacrifiée sur l’autel sanglant des religions. La courageuse, jeune et insouciante Anne Frank. Son « journal » est un des plus émouvants témoignages de la Seconde Guerre mondiale.
Egalement, le travail de la psychothérapeute Alice Miller sur la maltraitance « ordinaire » des enfants. Elle a permis de prendre conscience qu’une éducation individuelle violente pouvait amener à une violence sociale extra-ordinaire (Le IIIeme Rich par exemple). Shirin Neshat, artiste contemporaine iranienne connue pour ses films qui explorent la relation entre les femmes et le système de valeurs culturelles et religieuses au sein des communautés islamiques. Niki de Saint Phalle en France, Rebecca Horn en Allemagne, Barbara Kruger aux Etats-Unis, et surtout des femmes qui ont changé avec courage les mœurs, les lois : Simone Veil, Elisabeth Badinter, ou la jeune Malala. Une œuvre d’ailleurs rend hommage à Malala et évoque l’importance de l’éducation des filles dans le monde.
Des hommes aussi ! Par exemple, Kader Attia aussi est un artiste magnifique.
D’où vous vient votre inspiration ?
La philosophie et les fragments pré-socratique d’Héraclite tout autant que l’actualité au travers de la presse, la radio par exemple mais aussi les nombreuses lectures d’ouvrages historiques. Une œuvre intitulée « Enfant de parents » sur les camps français de la seconde guerre mondiale a d’ailleurs obtenu le soutien de Serge Klarsfeld en 2017.
D’autre part, je travaille au Musée de Grenoble ; la collection du musée permet de parcourir l’histoire de la peinture du 13e au 21e siècle, avec, pour chaque période, des œuvres de premier plan : de grands chefs-d’œuvre de la peinture classique flamande, néerlandaise, italienne, espagnole ; l’une des plus riches collections en Europe du 20e siècle ; toutes les grandes tendances de l’art contemporain depuis 1945. Vivre dans un tel environnement est bien sûr une source d’inspiration permanente.
Pouvez-vous nous parler de votre dernière création ?
Je suis en train de réaliser une série de dessins intitulée « Pouvoir d’achat ». Absurdité et cynisme des mots utilisés pour l’étiquetage des barquettes de viandes. Cette série de dessins aux crayons de couleur reprend mot pour mot les étiquettes des communicants de l’agroalimentaire. Affligeant comment les slogans font avaler n’importe quoi…
Et en parallèle, une série de dessins clin d’œil à l’œuvre de René Magritte « Ceci n’est pas une pomme ». La légende diffère cependant. Sous l’image d’un fruit ou d’un légume la liste exhaustive des produits phytosanitaires que contiennent pommes, fraises, pomme de terre… : » Ceci est du Abamectine , Acequinocyl , Clofentézine , Etoxazole… » « Manger 5 fruits et légumes par jour ! »… avec ou sans pesticides ? Bonne dégustation !
J’espère pouvoir montrer cette série à MacParis où elle a été présélectionnée ( mais pas encore sélectionnée !)
Avez-vous un projet dans les tuyaux ?
Je vais faire une exposition personnelle au printemps 2019 à la Théorie des Espaces Courbes en Isère, qui va s’intituler « Ecce Homo » sur la femme et les violences faites aux femmes. Dans cette exposition, un fait d’actualité m’a interpellé. Irlande 2018, un homme de 27 ans est accusé du viol d’une adolescente de 17 ans à Cork. Ce dernier a été acquitté. A croire que la défense de son avocate a convaincu… « Vous devez regarder la façon dont elle était habillée. Elle portait un string en dentelle! ». Ces mots sont ceux de son avocate, Elisabeth O’Connel. Un string en dentelle comme preuve de consentement ? Des femmes indignées ont accepté de prêter ce petit bout de tissu, symbole de culpabilité supposé, que je dessine épinglé.
Je viens de faire une interview sur Radio Canada et il est possible que cela permette une exposition à Montréal (à suivre).
Si vous deviez donner un conseil à d’autres artistes ?
Le travail et ne pas oublier dans quelle époque nous vivons. Dans l’art contemporain l’engagement est souvent peu exprimé. Les galeries et espaces d’expositions privilégient peu cette forme d’art contemporain. Quelques rares plasticiens « militants » arrivent à montrer leur travail et à faire bouger les lignes. Je ne me distingue pas de ceux-là. Serait-il plus simple de peindre des bouquets de fleurs…. ?
Photo : Hommage à Malala© 1011 – Site web : https://1011-art.blogspot.com