Difficulté pour boutonner son manteau, nouer ses lacets, écrire, calculer… Handicap invisible, souvent surnommée « maladresse pathologique », la dyspraxie est un trouble de l’acquisition de la coordination motrice. En croisant regards scientifiques et pédagogiques, « Le Cartable Fantastique » propose des outils numériques pour faciliter l’apprentissage des enfants dyspraxiques. Rencontre avec Valérie Grembi, directrice et coordinatrice pédagogique de l’association. Propos recueillis par Isabelle Zenatti.
Qu’est-ce que la dyspraxie ?
Valérie Grembi : La dyspraxie perturbe la coordination des gestes ainsi que l’organisation du regard. Aussi fréquente que la dyslexie, elle concerne environ 5% de la population, soit un élève par classe. Les enfants dyspraxiques ont des difficultés à écrire et à automatiser les gestes, ce qui les gêne dans de nombreuses activités scolaires et dans leur vie quotidienne. Leur trouble du regard rend la prise d’informations visuelles très coûteuse et fatigante. Ces élèves, d’intelligence normale, peuvent cependant réussir à l’école pourvu qu’on leur donne les outils nécessaires et que les ressources pédagogiques leur soient rendues accessibles.
Quel est le but de votre association « Le Cartable Fantastique » ?
Le Cartable Fantastique œuvre pour l’inclusion scolaire d’enfants en situation de handicap et en particulier dyspraxiques. En croisant expertise en sciences cognitives et expertise pédagogique, le Cartable Fantastique a ainsi pour projet de donner à ces enfants les moyens de développer tout leur potentiel scolaire sans être gênés par leur handicap. L’association adapte et crée des supports scolaires numériques et propose des outils d’adaptation et de compensation pour que ces élèves puissent apprendre comme les autres élèves de la classe.
La dyspraxie concerne environ 5% de la population, soit un élève par classe
L’objectif est de rétablir l’égalité des chances et de contribuer à l’accès à l’éducation pour tous, droit fondamental de chaque enfant, en s’appuyant sur le numérique : en classe, l’élève dyspraxique ouvre son ordinateur quand les autres élèves ouvrent leurs cahiers et leurs livres. Les outils développés par le Cartable Fantastique facilitent l’utilisation de l’ordinateur par l’élève (utilisation facilitée des traitements de texte usuels, pose d’opération…) et permettent à l’enseignant d’adapter rapidement ses supports scolaires.
Par ailleurs, le Cartable Fantastique propose des formations et ateliers à destination des enseignants, dans le but de les sensibiliser aux répercussions de la dyspraxie en classe et de leur proposer des solutions rapides à mettre en place pour contourner le handicap.
Quel a été le facteur déclenchant de ce projet ?
Une première coopération enseignant/ chercheur s’est faite spontanément pour une enfant dyspraxique, afin d’adapter au mieux les supports scolaires. Ceci a permis de mettre en évidence la nécessaire complémentarité de ces regards et le réel bénéfice pour l’élève concernée. Ces premiers aménagements, disponibles sur un blog (le cartable fantastique de Manon), ont très rapidement rencontré leur public, tant enseignants que parents.
Les outils développés par le Cartable Fantastique facilitent l’utilisation de l’ordinateur par l’élève
En raison de ce succès, l’idée est venue de créer l’association « Le Cartable Fantastique », avec une double mission : informer sur la dyspraxie (encore mal connue en 2010) et ses répercussions en classe, tout en fournissant des ressource en ligne ainsi que des outils de compensation et d’adaptation aux enseignants, familles et élèves.
Comment évaluez-vous le chemin parcouru depuis son lancement ?
A la création de l’association, en 2010, celle-ci ne comptait que quelques bénévoles pour répondre aux besoins et demandes exprimés (supports scolaires adaptés, adaptation de manuels scolaires, création d’un outil pour traitement de texte le « ruban word du Cartable Fantastique »).
Très rapidement, le succès rencontré auprès des familles et des enseignants a rendu nécessaire la professionnalisation de l’association et la création d’un site centre de ressources. Celles-ci sont utilisées massivement : en 2018, nous avons comptabilisé près d’un million de connexions au site et 750 000 téléchargements de nos outils et la demande de conférences et formations d’enseignants en constante augmentation (académies, ESPE, réseau Canopé, hôpitaux…), en France et dans les pays francophones.
Chaque année, notre « journée de rentrée » où élèves, parents, enseignants, professionnels de santé peuvent venir échanger avec nous, rencontre un vif succès. Nous sommes également de plus en plus référencés sur les sites académiques, les sites d’enseignants, leurs réseaux… sans oublier le soutien du MEN tant sur le plan financier que sur celui de la diffusion.
Tous nos outils favorisent l’inclusion scolaire en classe ordinaire ou spécialisée, l’autonomie de l’élève qui, à terme et grâce à nos outils implémenté dans son ordinateur, peut se passer d’une aide humaine. Cette meilleure réussite scolaire va permettre une meilleure réussite sociale en tant qu’adulte, avec une estime de soi préservée. A terme le petit dyspraxique deviendra un citoyen actif, inséré dans la société au lieu d’en être une charge.
Comme ce qui sert aux uns est aussi utile aux autres, nos outils sont conçus pour les dyspraxiques mais les élèves porteurs d’autres handicaps ou certains élèves dits « ordinaires » momentanément en difficulté peuvent également bénéficier des solutions qu’ils proposent….