Rwanda 1994 : génocide des Tutsis. Plus d’un million de Tutsis assassinés entre avril et juillet. Le monde savait. Le monde a laissé faire. Texte de David Gakunzi.
Quand revient ce mois d’avril, nous nous recueillons. La voix des victimes monte. Nous nous souvenons. De leurs noms. De leurs visages. De leurs sourires. De leurs rêves. De leurs paroles. Leurs dernières paroles.
Nous nous souvenons de l’heure. Nous nous souvenons de l’année. L’année de l’obscurité. L’année de cette haine cultivée, semée, entretenue, arrosée, organisée, armée.
Les Tutsis devaient mourir jusqu’au dernier parce que nés Tutsis. Le génocide c’est une politique. Le génocide c’est une idéologie. Le génocide c’est une affaire de temps long. De maturation. Le génocide c’est une administration. Le génocide c’est une organisation.
Le génocide c’est une politique. Le génocide c’est une idéologie
Tout annonçait l’heure. L’ombre avançait. Le monde a vu. Mais le monde n’avait pas assez de lumière dans son cœur. Le crépuscule venu, le monde a laissé faire. La lâcheté. Le battement sec enveloppé de lâcheté. Ce mois d’avril fut de lâcheté.
Avril. Les jours recouverts de ténèbres. Mais le soleil se couche, mais le soleil ne meurt pas.
Quand revient ce mois d’avril, la douleur remonte. Le néant. Le brouillard. Les marais. La route. Les cachettes de fortune. La fuite. Survivre. Tenir. Tenir une heure. Tenir le temps d’une nuit. Dans le froid et le silence de l’obscurité, tenir jusqu’au lever du jour. Entre les morts, refuser d’être déjà finis. Au temps de l’abîme, l’innocence abandonnée par le monde appelant le jour.
Avril. Sur les marches de la fraternité, des héros face à la nuit. Des hauteurs des collines, la vaillance tenue à l’impossible, porter secours aux pourchassés. Chacun sachant ce qu’il doit faire, se confronter à l’impossible. Défier la mort. Désarmer les tueurs. Ecarter l’obscurité. Sauver la vie. Poser des actes d’exception. La relève prête pour vaincre, offrir jusqu’au sacrifice de soi. La grandeur morale. Inkontanyi, la force du cœur. Amarere, ceux qui ont posé des actes de valeur. Ceux qui ont rendu la vie de nouveau possible. Les héros de l’impossible. Le présent ne sera pas sans avenir. La vie repoussera.
Des hauteurs des collines, la vaillance tenue à l’impossible, porter secours aux pourchassés
Avril. Le chemin parcouru. Sur ces collines où la vie fut mise à nue, découpée, machetée sans répit, cent jours durant, renaître de la poussière. Au lieu du désespoir, faire jaillir le temps d’un autre commencement. Il existe autre chose au-delà de la nuit. L’intelligence d’imaginer. Le pouvoir d’accomplir. Agaciro. Le Rwanda, lieu d’une nouvelle présence au monde. Le Rwanda progrès de lui-même. De ces collines blessées, là où rien ne semblait plus possible, une terre de grandeur est née.
Le chemin parcouru. Apprendre à surmonter cette haine en boucle. Cette haine qui jouit et se réjouit de harceler, agresser, mastiquer, mâcher, avaler la mémoire des victimes. La haine policée. Celle qui tient les plumes et les micros. Celle qui travaille à pervertir la parole. Celle qui ne veut pas laisser être. Haine granitique, viscérale, métallique qui rêve de Kigali abaissé. Qui vocifère de Paris, de Bruxelles et d’ailleurs. C’est comme ça : il y a des gens qui ne se portent bien qu’en haïssant. La haine est pour eux, l’endroit où vivre et demeurer. Ils n’existent qu’à partir de la haine. Il y a des gens qui choisissent la haine comme voie de réalisation. Il leur faut un objet de détestation. Les raisons de leur haine viendront ensuite. La haine d’abord, les motifs ensuite.
Résonne des collines la présence de l’absence. Nous nous souvenons
Avril. Quand revient ce mois d’avril, nous nous recueillons. La voix des victimes monte. Nous nous souvenons. De leurs noms. De leurs visages. De leurs sourires. De leurs rêves. De leurs paroles. Leurs dernières paroles. Quand revient ce mois d’avril, à l’endroit de la blessure, nous nous souvenons et ils sont. Ils sont dans nos cœurs. Ils sont dans nos regards. Ils sont dans nos chants. Ils sont dans nos bras. Ils sont dans nos prières. Ils sont dans nos pensées. Ils sont dans notre souffle. Ils sont. Cette chose n’a pas achevé le nom de leur passage sur cette terre. Ils sont. Leurs vies passent par nos vies. Ils sont. Nous nous recueillons, nous allumons les flambeaux et leurs voix montent. Ils sont. Leurs voix s’élèvent, avancent, se croisent, se parlent, racontent, disent, parlent à l’humanité. Résonne des collines la présence de l’absence. Nous nous souvenons. Nous veillons. Nous n’oublierons pas leurs noms. Nous parlerons leur silence jusqu’au bout de l’horizon. Ils ne sont plus là, mais ils sont. Nous sommes, ils sont.
Photo : Kigali Genocide Memorial – Rwanda
4 commentaires
Bravo
Merci David
Toujours ensemble
Nous y arriverons, j’en suis certaine
Merci pour ces beaux mots pour panser vos maux
Emouvant. Merci.
Si triste nous ne devons pas oublier car le monde savait et n’a rien fait .