Monica Pereira c’est d’abord une voix à la fois affirmée et sensible, un chant solaire qui raconte la Guinée Bissau, le Cap-Vert, d’où sont originaires ses parents. De Lisbonne à Paris, où elle vit aujourd’hui, Monica Pereira chante l’espoir, le courage, la douce mélancolie, la force des femmes… Rencontre avec une artiste dont l’esprit musical chemine entre l’Afrique de l’Ouest et la tradition créole lusophone. Entretien réalisé par Isabelle Zenatti.
Comment êtes-vous devenue artiste ?
Monica Pereira: La musique est ancrée à l’intérieur de moi, au plus profond de moi, dans mon subconscient. Je me souviens étant petite que mes parents écoutaient beaucoup de musique à la maison. Des artistes afro lusophones, peut-être pas très connus ici en Europe, comme Bonga, Theophile Chantre… Et aussi loin que cela me revienne, la musique a toujours habité la maison familiale. J’écrivais beaucoup de poèmes étant jeune fille. Une de mes cousines, qui était déjà dans la musique, venait souvent s’entraîner chez nous. Et quand j’ai vu qu’elle avait adapté l’un de mes textes en chanson, cela m’a véritablement donné le déclic.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Aujourd’hui tout m’inspire, la vie, les gens, l’histoire des autres, ma propre histoire. Et à vrai dire, l’inspiration on va la chercher là où l’on a envie de la voir. Je suis une enfant de parents migrants et l’histoire de l’immigration se répète et se raconte, peut-être pas toujours de la même manière, mais on retrouve souvent les mêmes parcours de souffrance. Même s’il n’y a pas que de la souffrance dans l’immigration, il y a aussi bien sûr du positif, moi je parle de la souffrance parce que c’est ce que j’ai retenu en regardant l’immigration de mes parents.
Je puise également mon inspiration du côté de certaines figures féminines comme Cesaria Evora, Christiane Taubira, Miriam Makeba. Makeba était une militante ; on l’a surnommé Mama Africa. Elle a vécu en exil pendant une trentaine d’années et connu de multiples succès musicaux. A travers sa musique, elle faisait aussi passer des messages forts. Elle était une voix contre l’Apartheid ; la fierté de tout un continent.
Taubira, tout simplement, car c’est une femme politique française dont on ne parle pas assez. On se souvient d’elle comme ministre de la Justice et de sa loi ouvrant au mariage pour les personnes du même sexe. Je retiens aussi qu’elle a œuvré pour une loi sur la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. On ne parle pas assez de ces femmes-là par exemple.
Votre musique est un merveilleux voyage vers la Guinée-Bissau, le Cap-Vert, vous avez travaillé avec de grands noms de la musique africaine. Quel regard portez-vous sur ces collaborations ?
Sur l’album, on retrouve Abdoulaye Diabaté du Kora Jazz trio, un grand monsieur de la musique ; Abdoulaye Traoré, une grande figure de la guitare mandingue ; Toumani Diabaté, que l’on ne présente plus, et Sidiki Diabaté. Toumani et Sidiki ont réalisé trois titres de l’album. J’ai eu énormément de chance de travailler avec ces gens-là.
Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain. Certains ont pris du temps pour apprendre à me connaître comme Toumani. Alors que j’étais pressée d’enregistrer des titres, il a fallu passer beaucoup de temps ensemble pour qu’il comprenne l’artiste que j’étais. Cette démarche, au départ, je la trouvais injuste car j’étais impatiente. Et en fait, avec le temps et le recul, je me suis rendu compte qu’il avait raison. Il faut prendre le temps de se connaître, de s’apprécier, de savoir de quoi j’avais envie de parler.
Avec ces artistes, j’ai aussi appris l’humilité dans la musique. J’ai appris les silences. Dans la vie on croit qu’il faut toujours tout combler avec les mots. Alors de temps en temps ça fait du bien aussi le silence. C’est bien aussi de ne rien dire et savoir apprécier cela.
“Mulher Do Sol”, littéralement “Femme du Soleil” en français, est le titre de votre second album. Quels messages souhaitez-vous transmettre aux femmes ?
Je suis une femme et je suis peut-être un peu trop féministe ! Je pars du principe que la femme a toujours été et sera toujours un élément clé au sein de nos sociétés. Si l’on veut détruire une société, on commence par affaiblir les femmes et là on détruit une société dans son noyau. Aujourd’hui, on reproche aux femmes de trop en vouloir mais les femmes sont le ventre du monde. Et à travers ma musique, je parle beaucoup aux femmes.
Dans ma chanson Farafina, c’est comme cela qu’on appelait anciennement l’Afrique, je parle aux femmes du monde en leur transmettant un message : vous êtes fortes contrairement à ce que la société vous fait croire. Je leur demande : Mais qui t’as maltraité ? Qui t’as fait souffrir ? Qui t’as fait pleurer Farafina, dis-le-moi. Je dis à ces femmes, nous sommes capables, levons-nous ! On nous a fait croire pendant des siècles que nous étions faibles, mais cela n’est pas vrai.
Est-ce difficile d’être une femme dans l’industrie musicale ?
Le monde de la musique est bien à 90 % masculin ! Dans mon équipe par exemple, tous les musiciens sont quasiment des hommes, parfois plus âgés que moi. L’éducation que nous avons reçue nous a appris à nous effacer. Mais cela n’est pas dans mon caractère. J’essaie de gérer mes équipes avec beaucoup d’humilité et de bienveillance, mais aussi d’imposer ma vision très féminine du monde.
Avez-vous des projets ?
J’ai des projets que j’aimerais mener à terme, comme celui d’un troisième album sur lequel je travaille actuellement. J’aimerais me rapprocher du continent, car je trouve qu’il y a des artistes, des musiciens extraordinaires avec lesquels j’aimerais pouvoir collaborer. Mais la conjoncture actuelle est difficile : faire un album coûte cher ; il faut trouver des subventions…
J’ai beaucoup de projets en tête, mais je me demande comment je vais pouvoir les réaliser avec la situation actuelle. Mais je compte bien les mener jusqu’au bout. La musique m’a sauvé de beaucoup de choses et elle continue de me sauver en cette période de confinement. Je profite de cette période pour me consacrer à l’écriture.
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Belle artiste qui a des choses a nous dire