Amadou Toumani Touré, ancien président du Mali est mort dans la nuit du 8 au 9 novembre. Il avait dirigé le Mali de 1991 à 1992 puis de 2002 à 2012. Regard sur celui qu’on surnommait ATT. Texte de David Gakunzi.
C’est le brouillard. Des flots et des rames du fleuve Niger, un chant morne, la tête couverte de chagrin, transporté par le vent jusqu’au peuple de Bandiagara, de Gao, Segou, Mopti, Sikasso, Layes, Kidal, Djené, Segou, Koutiala, Koulikoro, Kati, Nioro du Sahel, Tombouctou, Tessalit, Sevaré, Taoudeni, Macina, Niafounke…
Amadou Toumani Touré et le chant plaintif du Niger, le vent pluvieux de mauvaise nouvelle.
Amadou, l’année de la révolte de la jeunesse réclamant la lumière ; Amadou, soldat du devoir sortant des rangs renversant celui qui gouvernait ; Amadou, le pouvoir entre les mains, quel serait ton chemin ? J’y suis, j’y reste ? J’accapare, je m’accroche?
La promesse de la transmission démocratique sera tenue, la parole franche : Mali, c’est le parti unique qui a éteint le soleil des indépendances ; Mali, le parti unique a fait son temps ; Mali, citoyens aux urnes et que triomphe la puissance de la pluralité, de la réciprocité et de la concorde. La parole franche au verbe souvent parabolique : la parole sans proverbes, disaient les anciens, est comme une sauce sans sel.
Toumani, ton destin était de revenir ; ton regard portait vers l’avenir
Toumani du Mali ; le Mali de Soundiata Keita à Modibo, Bamako intemporel au bord du fleuve Niger. Toumani, ton destin était de revenir ; ton regard portait vers l’avenir. Revenir, quelques années plus tard, à la suite du professeur Konaré, pour créer une œuvre qui ne serait pas, cette fois-ci, de simple transition. Une œuvre de santé durable, arrosant dans le souhait proclamé le sable du désert de fertilité, couvrant le territoire d’infrastructures modernes et que l’éducation soit de qualité pour tous. Pour tous car “le miel n’est jamais bon dans une seule bouche”.
Mais de quelle matière, le socle d’une ambition ? De quel matériau ce qui tient debout un pouvoir et l’inscrit durablement au fond des mémoires ? L’homme compose et la réalité fait parfois des manières.
La menace de la dislocation. Le Nord du Mali occupé
La réalité. Face à face avec le réel. Comment déloger la misère de la terre ? La misère qui s’ouvre comme un gouffre insatiable ? Et aux frontières, la nuit souterraine en tenue d’occupation. La menace de la dislocation. Le Nord du Mali occupé. La déroute sur le front. Le pouvoir qui s’échappe ; le coup d’Etat qui se rejoue à quelques semaines de l’achèvement de ton second et dernier mandat. L’outrage brutal et soudain. L’humiliation comme un tatouage dans le dos. Et le bruit qui dira beaucoup de choses : le temps des frissons n’aurait pas duré longtemps.
Toure, Touré d’Afrique. L’exil à Dakar. Qu’il ne soit pas volontaire et l’exil est un malheur qui désincarne. Le manque du pays empêche de bien vieillir. L’éloignement, puis le retour. Le train du retour au lieu de sa naissance. L’exil n’était qu’une péripétie : Mopti est sorti en processions avec koras, ngonis, djembés, balafons, chants et danses ; Mopti ensoleillé, les masques récitatifs, attendait pour recevoir Touré fils de Touré.
Amadou Toumani Touré, le vent pousse, le vent a poussé
Le Mali retrouvé, mais le Mali la plaie toujours vive. Le Mali toujours sur le champ de bataille. Le Mali qui tourne et se retourne. Combien de temps encore ?
Amadou Toumani Touré, le vent pousse, le vent a poussé ; c’était la fatidique année 2020. L’Afrique en chœur, de Bangui à Bujumbura en passant par Ndjamena, les vagues du Niger redoublant de voix, se souviendra. Ton regard était saisissant de tranquille verticalité.
Photo: Amadou Toumani Touré © UE
David Gakunzi est l’auteur de “Ce rêve qui dure encore”, ouvrage paru en décembre 2023 chez Temps universel.