Pour que la scolarité se poursuive durant la crise sanitaire, certains établissements ont mis en place l’école en plein air. Et si, le confinement terminé, ce modèle éducatif où les enfants apprennent non plus assis sur des chaises, mais au contact du vivant se pérennisait ? C’est ce qu’envisage Caroline Guy dans son ouvrage “L’école dans les bois. Une pédagogie pour les jeunes enfants”. Propos recueillis par Isabelle Zenatti.
Comment est né le projet « d’Ecole dans les bois” ?
Caroline Guy : Après des études universitaires (langues et tourisme) et une formation agricole (bio et biodynamie), je me sentais perdue, ne trouvant pas ma place ni le domaine dans lequel je souhaitais œuvrer. Grâce à des mois d’introspection et l’aide précieuse de la méditation afin de trouver ma vocation, j’ai trouvé ma mission : (re)créer un lien entre l’enfant et la Nature et protéger l’innocence des enfants.
J’ai commencé par de l’animation nature, puis j’ai également été enseignante. C’est alors que j’ai découvert « Les enfants des bois », un livre de Sarah Wauquiez, pédagogue suisse. C’était sûr : il me fallait créer un « jardin d’enfants » dans les bois ! Je souhaitais profondément trouver une voie qui permette de respecter l’Esprit de l’enfant et son développement à tous les niveaux.
Quel a été le facteur déclenchant ?
J’ai toujours voulu être libre dans mon travail et donc j’ai toujours voulu le créer ! Ensuite, j’ai découvert les jardins d’enfants dans les bois (livre de Sarah Wauquiez, documentaires, visites à Berlin) dans les pays scandinaves et germanophones.
Des expériences en centres de loisirs et à l’éducation nationale m’ont vite montré que ces structures sont très loin de répondre aux besoins des enfants et de participer à la création d’un futur dans lequel êtres humains et règnes de la Nature vivent en harmonie !
Comment être épanoui et se sentir en sécurité en étant totalement coupé ?
Enfin, lors de mes premières expériences en nature avec des enfants, j’ai été effarée de découvrir qu’il n’était pas rare que des enfants de plus de 10 ans n’aient jamais marché pieds nus, jamais foulé le sol de notre Terre sans chaussures…
C’est effarant, car la Terre est notre Mère, notre maison, alors… comment être épanoui et se sentir en sécurité en étant totalement coupé ? Et vivant davantage dans le béton que dans l’herbe ? Et en regardant davantage un écran qu’un paysage ou des oiseaux ?
En quoi la pédagogie que vous proposez est-elle innovante ?
Je ne dirai pas que cette pédagogie est innovante dans le sens où elle est pratiquée depuis bien longtemps dans d’autres pays. Je n’ai rien inventé… j’ai juste associé deux « visions » pleinement compatibles.
La première est celle du développement de l’enfant selon les septaines. De la naissance à 7 ans, puis de 7 à 14 ans et enfin de 14 à 21 ans, l’enfant puis l’adolescent acquièrent de nouvelles capacités avec des modes d’apprentissages spécifiques. Il est capital de connaître cela pour proposer une éducation respectueuse des réels besoins des enfants selon leur âge. J’ai découvert cette sagesse dans « Maitrisez votre destinée par les cycles de 7 ans » de Pierre Lassalle. Cette connaissance est aussi un pilier de la pédagogie Steiner-Waldorf, la plus sage de toutes, à mon sens.
La seconde, déjà citée, les jardins d’enfants dans les bois dans les pays du Nord (+ Allemagne, Autriche, Suisse) dans lesquels les enfants de moins de 6 ans jouent librement dans la Nature, au contact des éléments, en toute saison. Dans ces cultures, on sait très bien que solliciter la pensée de l’enfant de manière intellectuelle/conceptuelle (et être assis toute la journée) avant 6 ou 7 ans est une mauvaise pratique… Et ils ont un rapport à la Nature plus sain, plus « tranquille », avec moins de peurs…
L’essentiel pour un jeune enfant est la formation de son corps physique : maturation du système immunitaire, motricité libre, expériences sensorielles, formation des organes, développement des muscles, tendons, etc.
Pour cela, l’enfant a besoin entre autres de jouer, d’être en nature, de bien s’alimenter (équilibré, frais, de saison, préparé ou cuisiné minute) et d’être soigné le plus naturellement possible. Le facteur humain est bien entendu essentiel aussi : les jeunes enfants grandissent en miroir de ce qui les entoure. Dans le même temps, l’enfant doit être protégé de toutes sortes de nuisances, « réjouissances » de notre monde moderne !
Comment la nature peut-elle aider les enfants à s’épanouir ?
Dans un premier temps, la Nature offre de l’espace pour jouer, courir, sauter, grimper : des activités essentielles au bien-être des jeunes enfants. La Nature est aussi une source inépuisable d’expériences sensorielles (toucher, observer, « patouiller », manipuler, écouter…) qui permettent aux connexions neuronales de se créer et qui permettent à l’enfant de faire l’expérience directe du monde qui l’entoure. Une fois toutes ces expériences accumulées, il pourra en extraire des concepts et connaissances plus élaborés vers l’âge de raison (7 ans) et avec des enseignants bien vivants et passionnés.
La Nature, qui propose sans rien imposer, offre la possibilité à chaque enfant d’entreprendre ce qu’il souhaite (même si, à cet âge, on parle surtout d’élan volontaire plutôt que de « souhait »), d’expérimenter ce qui l’attire, d’extérioriser ce qu’il porte. Ce point est très important !
La Nature est aussi une source inépuisable d’expériences sensorielles
Lorsque la pédagogie est appropriée, la Nature est aussi une aide de grande qualité pour développer autonomie, curiosité, collaboration, débrouillardise, esprit d’initiative…
Mais la Nature ne fait pas tout ! Les éducateurs doivent avoir une posture appropriée : être présents sans trop intervenir, soigner le cadre afin que les enfants soient en sécurité tout en ayant beaucoup de liberté, observer discrètement les enfants pour mieux les comprendre et ainsi leur apporter toujours davantage ce dont ils ont besoin, protéger les enfants (chaleur, présence, cadre, « enveloppement ») tout en leur laissant vivre les expériences diverses et variées nécessaires à leur plein développement. Un vrai travail d’équilibriste !
Quelles valeurs souhaitez-vous transmettre aux enfants ?
Tout d’abord, ce que je souhaite préciser, c’est que la transmission de valeurs se fait seulement si celles-ci sont vécues par les éducateurs. Les jeunes enfants sont très sensibles et nous perçoivent depuis leur intériorité. Bien entendu, cela reste subconscient pour eux mais non moins réel ! Ils ont donc besoin d’être face à des adultes sincères et aimants.
J’aimerais que dans le cœur des enfants vive et perdure la gratitude pour la Nature
Ce qui est essentiel à mon sens, c’est de faire expérimenter aux enfants leur connexion à la Terre, leur appartenance à la Nature, le fait qu’elles soient notre maison, notre lieu de vie et qu’elles nous donnent tout ce dont nous avons besoin. J’aimerais donc que, dans le cœur des enfants, vive et perdure la gratitude pour la Nature.
Ensuite, je souhaite que, petit à petit, chaque enfant dévoile son être, son individualité, avec ces dons et capacités particulières, à expérimenter et à offrir plus tard à la société, à notre écosystème humain-naturel. Il est essentiel de créer un cadre pédagogique qui favorise chez les enfants leur confiance en eux et en la vie afin qu’ils s’épanouissent comme des fleurs !
L’ECOLE DANS LES BOIS – CAROLINE GUY
MASSOT EDITIONS – FEVRIER 2022