La musique de Pédro Kouyaté est un mélange magique et envoûtant de sonorités des chasseurs mandingues, de jazz et de blues. Elle est fluide, légère, suave. Le sourire ravageur, la voix éraillée, Pédro Kouyaté, virtuose du kamele ngoni, est un musicien un peu gnawa, un peu bluesman. Rencontre.
Je suis socio-anthropologue de formation. Je suis en même temps griot même si mon mon père n’a jamais joué de musique. C’était un exilé de la Guinée de Sekou Touré. Je suis un Kouyaté et les Kouyaté sont les rois des griots.
D’abord, ma musique c’est Bamako. Bamako, c’est ma ville, c’est ma naissance, c’est ma chair, ce sont les bruits, les sons, les orchestres dans les rues que j’allais voir et écouter pieds nus. J’ai commencé très jeune. La musique était ma béquille car j’étais un enfant bègue et je ne parlais pas beaucoup. Donc mon instrument était mon meilleur ami. Je jouais pour moi, pour mes amis, mon cercle, ma famille, pour le quartier. Je n’avais pas imaginé faire une carrière. Je m’amusais.
Ma musique puise ses racines dans celle des chasseurs mandingues. Au gré d’initiations, de rites multiples, à force de patience, j’ai intégré leur confrérie. Lors des veillées de chasse, ces chasseurs transposent le chant des oiseaux, les attitudes animales. J’ai intégré tout cela et moi-même, sur scène, j’effectue parfois des pas de danse de certains animaux : la girafe, le faisan… A la manière des fables de la Fontaine, je décris ainsi les animaux, pour traduire les comportements humains. La musique des chasseurs possède une âme. Elle est chamanique, bouddhiste… Tout est dedans.
Ma musique est aussi une peinture ouverte sur le monde notamment sur le blues. Le blues pour moi, c’est l’homme qui vient de perdre la personne qu’il aime ; c’est le mec qui cherche du job sous la pluie; c’est le fleuve Niger, l’équivalent du Mississippi. Je suis un griot mais j’écoute aussi du Bach, du Chopin, j’adore la musique bretonne, celtique. J’aime cette diversité.
Pédro Kouyaté : Le blues pour moi, c’est l’homme qui vient de perdre la personne qu’il aime ; c’est le fleuve Niger
Et qu’est ce que j’essaie de transmettre ? La confiance. Cette confiance qui m’a été accordée lorsque j’étais gamin. Je donne toujours l’exemple de Scorsese, enfant asthmatique, privé de sorties et qui découvre avec son père le cinéma lors d’une sortie. Et cette découverte a changé sa vie pour notre bonheur à tous. Faire passer donc la confiance mais aussi une autre façon d’être ami avec la culture, dite africaine, alors que c’est la culture de la porte d’à côté.
Aussi, j’essaie aussi de transmettre la joie d’être. Je n’étais pas censé être là où je suis aujourd’hui. Alors je prends la vie comme un bonus. Et si je suis là, c’est parce qu’il y a eu des gens qui m’ont donné un coup de main sur ma route. J’ai côtoyé des géants comme Toumani Diabaté et Boubacar Traoré. Avec Toumani, j’ai eu la chance d’être au bon endroit, au bon moment avec la bonne personne. Je dois tout à Toumani. J’ai ouvert les yeux et les oreilles, j’ai regardé, écouté et appris. Boubacar Traoré, lui, le blues man, m’a vu au Centre culturel français de Bamako et il m’a donné ma chance : il m’a mis dans l’avion et je l’ai accompagné dans les tournées en Asie, aux Etats Unis, en Europe. On a fait trois fois le tour du monde. Et ce fut avec lui ma grande école. J’ai aussi rencontré Manu Dibango. Manu m’a parlé comme on parle à un fils. Lui c’est la terre, ce sont les racines, c’est l’arbre africain.
Je dirais aussi à tout jeune musicien d’écouter les autres, d’être toujours lucide avec soi-même et de continuer à apprendre
Par la suite, j’ai décidé d’entreprendre une carrière solo. C’est venu comme ça, au fil des rencontres. Parce que les gens m’ont encouragé. On me disait : « Mon gars je n’ai jamais entendu et vu ça. Continue on aime ta musique ! » Mais je n’ai pas eu que des victoires. La musique c’est aussi des moments de déceptions, de mauvais articles. Les mauvaises critiques, moi, je les ai toujours accueillies comme un honneur! C’est un métier qu’on arrive pas à saisir parfois mais c’est un superbe métier; c’est le plus beau métier.
Ceux qui sont dans la condescendance culturelle me disaient parfois ; “Ah oui mon africain, tu vas bien? Ton boubou est joli ! » etc, et moi je ne suis pas cela. Oui, je suis Africain mais l’Afrique fait partie du globe terrestre. Je suis donc un humain. Et j’ai choisi ma route. Ma musique est ce qu’elle est. C’est aussi pour ça que je descends dans le métro tous les jours. Pour tout réapprendre et me confronter à ma propre réalité. Le métro c’est mon atelier, c’est ma cuisine. Tu entres dans la vie des gens qui partent et qui rentrent du boulot. Ce sont eux qui m’ont encouragé à faire tous mes albums et qui m’ inspirent parfois. Quand je pars en tournée et que je reviens, le métro me manque. Keziah Jones et Manu Chao ont commencé comme ça, et je les respecte !
Qu’est ce que je conseillerai aux jeunes musiciens ? D’abord de ne pas confondre la réalité avec la téléréalité. La musique c’est une longue histoire, c’est un chemin qui est parsemé de beaucoup de surprises. Enfin, être sincère est très important. Lorsque l’on triche, ça se voit. C ’est comme l’amour. Je dirais aussi à tout jeune musicien d’écouter les autres, d’être toujours lucide avec soi-même et de continuer à apprendre.