Photographe reconnu, Rocco Rorandelli est l’un des membres fondateurs du collectif de photographie documentaire TerraProject. Son nouveau livre « Bitter Leaves » explore les impacts environnementaux, sanitaires et sociaux du cycle du tabac, de la semence à la vente. Cette exploration de l’industrie du tabac aura duré presque 10 ans. Rorandelli s’est rendu en Inde, en Chine, en Indonésie, aux États-Unis, en Allemagne, en Bulgarie, au Nigéria, en Slovénie et en Italie pour documenter son ouvrage. Les photographies qui en résultent sont présentées aux côtés de textes de la scientifique Dr Judith MacKay. Propos recueillis par Isabelle Zenatti.
Comment définiriez-vous votre travail ? Etes-vous photojournaliste? Et, de votre point de vue, quelles sont les qualités requises pour être un bon photojournaliste ?
Rocco Rorandelli : Je fais de la photographie documentaire ; ce qui signifie que l’essentiel de mon travail, de mes projets personnels, explore des thèmes précis pendant une période de temps significative. Je couvre aussi des sujets en tant que photo-journaliste, pour les médias. Dans ce cas, mon temps de production est plus rapide, disons de quelques jours. Cependant ces différentes démarches sont liées entre elles, le langage visuel et l’approche méthodologique s’adaptant au sujet traité et au contexte.
J’ai commencé à travailler comme photographe en 2006, lorsque j’ai co-fondé avec trois autres photographes un collectif, TerraProject. Depuis lors, nous avons tous les quatre produit de nombreuses œuvres à la fois individuellement et en groupe. Nos photos sont régulièrement publiées par les médias internationaux, exposées dans des musées et des festivals, utilisées par des organismes institutionnels et des organisations intergouvernementales ainsi que dans des ouvrages.
Une qualité essentielle pour travailler dans ce domaine est la curiosité. Il faut également être bien informé et trouver des histoires à raconter ainsi que la meilleure manière de le faire. Il est également crucial de conserver un large carnet d’adresse et de contacts.
Quels sont les rôles et responsabilités d’un photo-documentariste ?
Nous sommes constamment entourés de tant d’images, ce qui rend notre rôle encore plus important. J’essaie toujours de mettre un point d’honneur à être irréprochable sur le plan journalistique, de présenter un travail bien documenté, de bien connaître mes sources et de m’assurer que les gens que je photographie savent ce que je photographie et pourquoi. Tout cela est une garantie pour le spectateur et les gens photographiés.
Comment choisissez-vous les sujets que vous décidez de prendre en photo ?
Les gens que je photographie sont toujours liés à l’histoire que j’essaie de raconter et sont choisis en fonction de leurs histoires personnelles et de leur disponibilité.
En tant que narrateur visuel, comment travaillez-vous?
Je commence toujours par me documenter. Je pars de données existantes pour comprendre le sujet que je vais traiter et identifier ses acteurs. En général, je passe beaucoup de temps à lire, à rencontrer des experts susceptible de m’apporter leur savoir et à échanger des idées avec mes collègues. Ensuite, je construis un storyboard où je liste qui, quoi et où je dois photographier pour réaliser mon histoire.
Comment pouvez-vous décrire le message principal contenu dans « Bitter Leaves », votre nouveau livre ?
Avec Bitter Leaves, j’attire l’attention du lecteur sur les éléments les moins connus de toute la chaîne de valeur de l’industrie mondiale du tabac. Je suis persuadé que la connaissance des mécanismes de fonctionnement des entreprises multinationales et, en particulier de celles responsables de la fabrication des produits à base de tabac, est essentielle pour que les consommateurs prennent leurs décisions d’une manière informée.
Pourquoi avez-vous choisi de traiter particulièrement ce thème ?
Mon père était un gros fumeur et en 2007, il est décédé des suites d’une maladie liée au tabagisme. J’ai passé les mois suivants à lire des ouvrages et des travaux sur le fonctionnement de l’industrie du tabac. J’ai réalisé que derrière l’apparente simplicité d’une cigarette pouvait se dissimuler des conséquences impactant négativement l’ensemble du processus de production.
Le livre est un moyen pour comprendre comment le tabac favorise l’appauvrissement des terres agricoles, menace la santé des travailleurs avec des produits chimiques dangereux, exploite le travail des enfants et des travailleurs sans papiers, utilise des campagnes de marketing agressives visant à gagner de nouveaux consommateurs (principalement des mineurs) et mène un lobbying intensif pour promouvoir son expansion à des nouveaux marchés et à d’autres couches sociales.
Quels sont vos projets à venir?
Au cours des dernières années, j’ai passé mon temps à mettre en lumière des problèmes liés au système éducatif italien et, maintenant, je commence un nouveau chapitre. Avec le collectif, nous travaillons sur d’autres projets, l’un sur le changement climatique et l’autre sur la perception de la peur.

BITTER LEAVES – ROCCO RORANDELLI
Septembre 2019 / GOST publishing