Elections burlesques organisées à huis clos au Burundi, sans observateurs internationaux, ni presse libre, avec une commission électorale sous ordre, des membres de l’opposition pourchassés, des résultats fantaisistes. Texte de David Gakunzi.
Les gens n’en pouvaient plus. Le pays sentait le cadavre, la pourriture de la prédation et la parole exhalant la perversion. Les gens étaient fatigués. Ils en avaient marre de ces dirigeants qui, la cupidité féroce, accumulaient, amassaient, avalaient tout ce qu’ils pouvaient avaler, avalaient les êtres humains et les choses; qui, l’insulte facile, parlaient mal, parlaient pour diviser, qualifiant tous ceux ne partageant pas leurs idées de traîtres à la nation, imputant tous les maux du pays aux anciens colons tout en ingurgitant goulûment vins et champagnes importés.
Les gens étaient fatigués. Fatigués d’être écrasés, méprisés, dépouillés, humiliés, opprimés. Le pays était submergé de colère et de sentiment de dégoût : mais de quel souterrain sortaient ces hommes à la cruauté sans pareil, pourchassant et exilant ceux qui refusaient d’être monstres parmi les monstres, racketant sans pitié les miséreux et les affamés tout en se réclamant de leur légitimité, s’octroyant le droit de décider qui devrait vivre et qui devait périr ? Mais de quels bas-fond étaient issus ces hommes à la méchanceté hors norme, accro à la violence, pratiquant tantôt le crime à ciel ouvert avec cadavres martyrisés exposés au regard de tous ; tantôt le crime dissimulé, caché, sans corps visible ?
Les pays dépérissent comme dépérissent les hommes
Les pays dépérissent comme dépérissent les hommes. Un pays peut s’en aller, dépérir en quelques années, changer de destinée, tomber bas, descendre bas, bien bas, plus bas encore, se transformer en jungle sauvage, finir dans le trou de l’histoire. Le pays dépérissait ; ne restait plus que deux choix : l’ensauvagement illimité ou le retour à l’humanité.
Le frémissement eut lieu. Tout à coup, ce bout de terre africaine que l’on croyait foncièrement cassé dans son élan vers l’avant, mort dans son corps et dans son âme à force de recevoir des atrocités dans la gueule ; ce pays écorché, désossé, mutilé, défiguré, que l’on croyait définitivement conditionné à suivre moutonnement, jusqu’au bout de son calvaire, ses bourreaux sans broncher, n’était plus tout à fait le même. Soufflait comme un air du changement. Le vieux monde était-il en train de crever de trop d’injustices ?
Les gens voulaient autre chose : ils disaient, avec de plus en plus de hardiesse, qu’ils n’étaient pas nés pour subir cette oppression qui n’en finissait pas, cette souffrance se répétant en boucle. Qu’ils avaient, eux aussi, le droit de vivre une vie normale. Les jeunes étaient fatigués. Les vieux étaient fatigués. Les hommes étaient fatigués. Les femmes étaient fatiguées. Écœurés. Les gens étaient écœurés. Certains en avaient plein le dos de cette tyrannie et, excédés, disaient : «Advienne que pourra mais que ce régime s’achève ! Car vivre sans présent ni avenir ce n’est point vivre. C’est mourir vivant ! » Et ils semblaient décidés : à l’occasion du scrutin annoncé, chacun, dans l’isoloir, dirait de sa voix, le changement. Chacun, ragaillardi, affronterait dans les urnes les hommes mangeurs d’hommes.
Les gens disaient à haute voix ce qu’ils n’osaient plus dire depuis quelques années
Le changement. Les gens avaient retrouvé cette force du désir qui pousse les êtres humains vers l’avant. Ils s’étaient remis à parler. A parler d’un autre Burundi. Un Burundi qui ne ferait plus honte à ses propres habitants mais un Burundi qui ferait rêver. Tout changerait. Les affaires du pays seraient conduites d’une autre manière. Prévaudrait la raison et le bien et le mal retrouveraient leur sens. Intahe, la justice, Ubuntu, l’humanisme, Iteka, la dignité. Et adieu cette misérable et macabre existence.
Soufflait le vent du changement. Les gens disaient à haute voix ce qu’ils n’osaient plus dire depuis quelques années. Ce qui ne se disait plus que sur les murs et pages des réseaux sociaux. Ils ne disaient plus qu’ils n’étaient ni au courant ni concernés par « ces choses-là » qui se passaient dans le pays ! Ils nommaient les meurtres, nommaient les auteurs des meurtres, dénonçaient les abus et le harcèlement quotidien des miliciens, criaient contre la corruption, fustigeaient cette misère infligée. Ils en avaient marre ! Ils n’en pouvaient plus !
Le changement n’était plus ce vœu murmuré, les lèvres collées, adressé au Tout-puissant les jours de prière dans le secret le plus absolu mais une possibilité, mais une nécessité, mais une évidence partagées. Les invisibles, les gens de rien, les gens de peu n’attendaient plus le changement : ils s’étaient redressés pour le changement. Ils ne seraient plus pâtures données aux bêtes sauvages.
Les urnes. Le vote. Le jour du vote, des urnes, sortirait autre chose. Des urnes, un nouveau jour. Good Morning Burundi !
Le vote aura lieu. Mais le lendemain ne sera pas meilleur que la veille
Mais la bête, mais les monstres enduits de sang versé, étaient toujours de faction, toujours au taquet dans l’ombre. Le vote aura lieu. Mais le lendemain ne sera pas meilleur que la veille. Les urnes seront fracassées contre le sol. Les résultats sortis des urnes seront modifiés. Les résultats officiels proclamés seront farfelus, loufoques. La forfaiture. Jeu de néant. Le message : « Rien ne changera ici et sors toi de devant mes yeux, peuple insolent, et ferme ta gueule, sinon je te ferai ton affaire ! Tais-toi! Ta gueule, sinon je veux te fumer ! Tais-toi ! Ta voix ne compte pas ! Tais-toi ! Le changement ne sera pas ! L’enfer ne peut pas mourir ! Tais-toi ! Ta voix ne changera rien dans ce pays. Rien ! Absolument rien ! Ici ne compte que la force ! Et la force ce n’est pas toi ! Tais-toi, sinon…»
Comme un sentiment de désarroi. Un caillot de douleur dans la gorge. Le jour ne s’était pas levé. Il n’y avait donc pas ceci et cela dans ce pays. Il n’y avait que ceci. Ceci : c’est-à-dire l’arbitraire et la loi du gourdin. Devait continuer l’oppression. Devait continuer le racket. Se poursuivraient l’arbitraire, le mépris, les arrestations, les disparitions, la torture, les meurtres. Un autre mandat de répétition du pire ? Des gouvernants prédateurs et des gouvernés forcés ?
Ici, il n’y avait que ceci : l’oppression après l’oppression. Pas d’autre voie envisageable. Ceux d’en-dessous resteraient en dessous. Ceux d’en dessous n’avaient qu’à retourner pédaler leur vélos crevassés, labourer leurs lopins de terres miséreux, vivoter de petits boulots, raser les murs de leurs bureaux, se faire petits, tous petits, s’écraser sinon… C’était comme ça : les hommes mangeurs d’hommes allaient continuer à faire ce qu’ils faisaient : manger les hommes. C’était ça, la démocratie authentiquement burundaise ! Le cercle qui commence et ne finit pas. Le zéro qui ne mène nulle part. Et il faudrait faire avec.
Faire avec vraiment ? Faire avec ce qui écrase et tourmente les corps et les esprits ? Faire avec ce qui emprisonne et exile ? Faire avec ? Les bourreaux paraderaient encore pérorant au nom de Dieu, leurs insanités et il faudrait faire avec ?
L’espoir du changement jeté au sol, l’avenir fermé et tout un pays en rage
L’espoir du changement jeté au sol, l’avenir fermé et tout un pays en rage, flottant au-dessus de l’abime, qui voudrait hurler mais qui se retient. Soumission sinon boucherie et abattoir de nouveau? Comme d’habitude ? Ô Burundi jusqu’à combien d’années encore le malheur ? A quand donc la terminaison de cette épreuve ?
Ceci et cela. S’il y a ceci, il y aussi cela. Une lueur dans l’obscurité. Les sans-défense et les invisibles savent : il y a ceci, cette blessure ouverte qui saigne, mais il y aussi cela. Autre chose demeure possible. Probable. Mais quelle création en commun pour que le probable devienne réalité ? Comment porter ceux qui avancent pour qu’ils puissent avancer pour qu’enfin, au creux de ce bout de terre, l’humanité reprenne le dessus sur la brutalité et, que les gens de ce pays, puissent, eux aussi, respirer et vivre une vie normale dans un pays normal, vivable ?
Le changement est une œuvre qui se reprend. Une oeuvre toujours en construction qu’il faut nourrir sans cesse de sève nouvelle. D’audace. De courage. D’imagination. Une œuvre parfois longue. De longue haleine. La flamme de l’espérance. Tenir droite la flamme de l’espérance.
Photo : Défilé 1er juillet 2009 ©Teddy Mazina
2 commentaires
Tu es un grand homme David
Tous mes mes respects pour ton sens d’analyse
Tous les régimes sanguinaires et dictatoriaux finissent par tomber.
Là dictature ne peux perdurer.trop juste cette analyse.